Nasradin_ Je vous écris de Benoît Labre

Nasradin_Je vous écris de Benoit Labre

« Il me reste le maillot et les gants, mais je n’ai plus de club, ni même de ballon. »

Cher Jean-Loup,

Président de l’Association pour le respect des droits de l’homme à Djibouti, tu connais mon histoire par cœur, toi qui m’as aidé dès que j’ai mis le pied sur le sol français. J’ai eu envie de te remercier et, par la même occasion, de raconter les circonstances de mon exil, tant elles paraissent sorties de l’imaginaire, tant les gens pourraient penser que j’avais tout manigancé de longue date.

Justement non. Nous sommes le 3 septembre 2021, dans l’avion qui ramène de Blida l’équipe de foot de Djibouti. J’en suis le gardien. Je viens d’encaisser huit buts contre l’Algérie, dans un match éliminatoire de la coupe du monde 2022. Dans quelques jours, on doit affronter le Niger, au Maroc. Les « Requins de la Mer Rouge » que nous sommes n’en mènent pas large.

Pour comprendre cette peur, il faut savoir que j’ai été enrôlé contre mon gré dans la Police. On m’a obligé à vivre dans une caserne, sans même que je puisse voir ma famille, pour que j’intègre l’équipe nationale, en 2017. Dans l’avion de Blida, suite aux menaces des dirigeants de notre équipe, on commence à trembler à l’idée que notre président-dictateur, comme c’est déjà arrivé, nous emprisonne ou nous élimine à notre retour, à cause de ce score humiliant.

On apprend soudain que notre vol vers le Maroc passe par… Orly ! L’idée de rester en France, on l’a dans l’avion. La décision de demander l’asile, on la prend à l’aéroport, spontanément, en apercevant le bureau de l’immigration, qui va nous donner à manger.

Je n’y avais jamais pensé avant, jamais ! On n’a été que trois à oser le faire, Omar, Bilal et moi. Les autres ont eu peur des représailles contre leur famille. Ils iront jouer le match contre le Niger. Ils perdront 4-0…

Nous arrivons à Orly à 14 h. L’avion pour le Maroc repart vers 22 h 45. Sans nous. On reste cachés dans les toilettes jusqu’à 5 h du matin, sans manger ni boire. La police nous cherche. C’est nous qui allons directement au bureau d’immigration, le lendemain matin, 4 septembre.

Merci, cher Jean-Loup Schaal, d’avoir été immédiatement présent. De nous avoir aidés dans nos premières démarches. D’avoir contacté nos familles. De nous avoir donné quelques euros et quelques vêtements. Tu te souviens, je me suis effondré, à cause d’une crise d’angoisse. On m’a même hospitalisé. Mais grâce à toi, après quatre jours en zone de transit, on a eu un visa temporaire d’une semaine.

Bilal, gendarme de profession, part à Grenoble. Omar, garde républicain, rejoint un beau-frère à Rennes. Moi, je ne connais personne. Omar me propose de le suivre. J’ai alors 27 ans.

A Rennes, je continue mes procédures. Quand j’obtiens mes papiers, au bout de 16 mois, le 3 janvier 2023, je commence à travailler, à Intact-Nettoyage. Laver, aspirer, désinfecter… Un métier, ça ouvre l’avenir. J’ai fait un bilan de compétences. J’ai suivi une formation de quatre mois. Pour l’instant, je suis en stage. Bientôt, je pourrai travailler.

A cause de tout ça et du Covid, j’ai arrêté le foot, sauf entre amis. Il me reste le maillot et les gants, mais je n’ai plus de club ni même de ballon. Je n’ai pas de nouvelles de mes coéquipiers. Ma famille, je l’appelle maintenant, de temps en temps, par WhatsApp. Pendant ma demande d’asile, elle a subi des menaces. J’ai toujours peur de cette dictature et j’ai peur de mettre ma famille en difficulté en l’appelant.

J’aime beaucoup Rennes. Je fais l’effort d’améliorer mon français, comme tu me l’as conseillé. Je participe à beaucoup d’activités. L’association Benoît-Labre m’accompagne, depuis six mois, dans mes démarches, la CAF, l’assurance maladie, l’électricité, le gaz… Lucie, ma référente, fait beaucoup pour moi. Les gens d’ici sont très gentils. Je resterai toujours à Rennes. Jusqu’à ma mort !

Merci, je n’oublierai pas ton grand cœur, cher Jean-Loup.

Nasradin.

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